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L’implication de l’Église Catholique dans la reconstruction

Publié le 05 juin 2013 par webmaster

La cathédrale Notre Dame de l’Assomption est l’un des symboles de la destruction de Port-au-Prince par le tremblement de terre de janvier 2010. De cet édifice monumental blanc et rose pâle, qui allait fêter son centenaire, il ne reste que les amas de bétons armés, d’où émerge le fer supplicié qui soutenait l’édifice. Trois ans après le drame, le Chancelier de l’Archidiocèse de Port-au-Prince, Mgr. Patrick Aris, explique la vision et l’implication de l’Eglise catholique dans la reconstruction de la moitié-île ravagée en 35 secondes ?

Caritas Haïti Magazine (C.H.M): Cela fait 3 ans depuis que la date du 12 janvier s’inscrit dans la mémoire collective haïtienne. Pour certains, c’est une date funeste, une malédiction voire une apocalypse, tandis que pour d’autres, il s’agit du prix de nos inconséquences et de nos choix de construction. Pour vous, que signifie cette date?

Monseigneur Patrick Aris (M.P.A): Selon moi le 12 janvier n’est pas d’abord une date mais le carrefour (la croix) où s’énonce le possible de nouveaux itinéraires. Au lendemain de la catastrophe, tout semblait indiquer que nous savions quel chemin prendre pour ne pas nous perdre. Mais trois ans après, il est difficile de savoir si nous sommes encore sur le bon chemin. De ce point de vue il ne s’agit même plus d’inconséquences mais de séquences que nous ne savons plus vouloir maitriser. C’est une logique cassée.

C.H.M: Après 3 ans, le pays est toujours en chantier. Quelle est l’implication de l’Eglise catholique dans la reconstruction ? Quelles est sa vision de la reconstruction ?

M.P.A: L’implication de l’Église dans la reconstruction est holistique, réelle, sectorielle. Elle essaie de reconstruire ses écoles, ses églises et autres bâtiments fonctionnels et à caractère social. La cathédrale qui a toujours été le symbole de la ville de Port-au-Prince, n’est pas encore sur la liste de la reconstruction et nous ne savons pas ce que pensent les autorités étatiques. Mais la vision de l’Église de la reconstruction est simple et claire: il faut commencer par le tissu social ; il faut un plan directeur participatif impliquant tous les citoyens les invitant à donner corps à une vision. Nous avons besoin d’un pays-communauté et non d’une nation-jungle.

C.H.M: Beaucoup d’églises catholiques n’ont pas résisté au séisme. Où en sommes-nous avec leur reconstruction ? Combien en avez-vous déjà répertorié de détruites ? Et dans quel état se trouvent-ils ?

EGLISE…ET PRESBYTÈRE ENCORE SOUS DES TENTES
M.P.A: Dans l’Archidiocèse de Port-au-Prince une bonne quarantaine d’églises ont été détruites ou très endommagées. On peut citer pour la région métropolitaine quelques unes :, Sainte Anne, saint Joseph, saint Gérard, saint Charles, sainte Thérèse de Pétion-ville, de Lilavois, Sacré-Cœur de Turgeau et bien entendu la cathédrale. Mais encore les églises de Léogâne, de Grand Goâve de Petit-Goâve, de Vialet. Elles ont été toutes démolies par la suite. Pour les services liturgiques, les curés se sont contentés, jusqu’à aujourd’hui, de tentes qui servent d’église, de salles de classes ou même de presbytère.

C.H.M: Côté financement, comment ça marche pour leur reconstruction ou leur réhabilitation ?

M.P.A: Actuellement nous avons des provisions financières pour commencer (pas pour terminer les travaux nécessairement) les églises du Sacré-Cœur de Turgeau, de Sainte Thérèse de Pétion-ville, de saint François d’Assise de Grand Goâve; et ce qu’il faut pour construire la cathédrale transitoire, un bâtiment qui abritera la cathèdre (ou siège) de l’évêque en attendant la cathédrale elle-même. Pas beaucoup d’églises réhabilitées sauf saint Pierre de Pétion-ville et Notre Dame d’Altagrâce de Delmas où les dommages ont été mineurs. Cela fut fait dans les premiers mois qui ont suivi le séisme. Nous comptons beaucoup sur un mouvement laïc comme PAREH : (Projets et Actions pour la Reconstruction des Églises en Haïti) créé avec la bénédiction de notre Archevêque, son Excellence Mgr. Guire Poulard, pour aider à la construction de nos Églises détruites.

C.H.M: Dans son numéro du 21 décembre 2012, Le Nouvelliste a publié la maquette de la prochaine cathédrale de Port-au-Prince, conçu par l’architecte portoricain Segundo Cardona et son équipe. Qu’attendez-vous de ce projet ? Et quelles sont les perspectives pour les autres temples ?

SE CONSOLER D’UNE CATHÉDRALE TRANSITOIRE
M.P.A: Nous avions effectivement organisé un concours international d’architecture pour avoir des propositions sur ce que pourrait être notre cathédrale. Nous voulions aussi sonder la pensée du monde artistique sur la construction religieuse catholique dans le contexte futuriste ou postmoderne actuel. Ce concours qui fut aussi un exercice, a une valeur symbolique. Mieux c’est déjà une expérience, une référence. Si nous voulons construire notre Cathédrale demain, nous avons un réservoir d’idées où puiser. Mais le choix du plan ou maquette de la nouvelle cathédrale, n’est pas encore fait. C’est la prérogative exclusive de l’Archevêque de Port-au-Prince.  Une cathédrale presque similaire à celle que le séisme à détruite, coûterait entre 30 million et 40 millions de dollars américains. Somme que l’Archidiocèse n’a pas. Jusqu’ici nous avons reçu du Nigéria 100.000 dollars sur une promesse de 200.000 et 30.000 euros de la principauté de Monaco. Voilà pourquoi nous construisons d’abord une cathédrale transitoire.

C.H.M: Sur quoi l’Eglise catholique concentre-elle ses actions pour la reconstruction en 2013 ?

M.P.A: Au milieu de 2013 nous aurons déjà notre cathédrale transitoire. Nous serons beaucoup plus libre pour penser la cathédrale de Port-au-Prince, constituer les partenaires, mobiliser le peuple chrétien et la ville autour de ce projet, leur projet. En attendant nous sommes en quête des vrais créneaux. Souvent les lucarnes sont trop petites pour donner accès; il faut les ouvrir ou faire des brèches.

C.H.M: Il y a les dimensions humaine et physique de la reconstruction. Laquelle priorisez-vous ?

M.P.A: Nous laissons à notre Caritas diocésaine le soin d’approfondir sa mission dans la vision du Réseau pour continuer à faire la différence dans la vie des plus humbles et des victimes oubliées. Nous nous concentrons sur les grands chantiers : nos bâtiments publics en donnant par l’exemple, une impulsion nouvelle à l’État qui a tendance à oublier ou à perdre sa vocation. Donc la priorité demeure la conquête de l’avenir par la responsabilisation étatique et citoyenne du présent. Nous ne sommes pas d’accord avec cette alternative exhibée par le réel social communautaire : bâtir des tombeaux ou des taudis. Il me semble qu’il y a d’autres modèles possibles, il faut les concevoir et enfanter ensemble.

C.H.M: 2013 : année de la foi pour l’Eglise catholique, année de l’environnement pour le président Michel Martelly. Comment l’Eglise catholique fait la relation -environnement et foi chrétienne- dans le cadre de la reconstruction nationale?

JÉSUS FUT UN GRAND ÉCOLO…
M.P.A :
L’Église catholique a une pensée riche. Sa théologie est assez grande pour être holistique. La sensibilité pour l’écologie a commencé dans l’Église avec saint François d’assise que Jean Paul II a proclamé patron des écologistes en 1979. Jésus fut un grand écologiste qui tira toujours ses exemples ou ses paraboles de la nature, de l’agriculture. C’est important d’avoir des proclamations-rappel. Mais dans notre pays nous avons surtout des proclamations-oubliettes. Nous proclamions une année pour les paysans pour mieux ne plus avoir affaire et à faire avec eux. Il faut croire que consacrer une année à prioriser l’environnement est possible. Dans ce contexte, continuer la lutte demande de la foi aux citoyens et aux politiques. Sinon le découragement va s’installer. L’environnement n’est plus seulement une question importante en Haïti c’est une nécessité vitale. Ou nous en tenons compte ou nous arrêtons de faire des enfants. Les Congrégations autochtones depuis les années 1950 travaillent dans les mornes ; sans elles on ne sait pas ce que serait notre pays.

C.H.M: Tout le monde a montré un élan de solidarité exceptionnelle au lendemain du séisme. Qu’est-ce que cet exemple peut nous apprendre à la lumière de la doctrine sociale de l’Eglise?

M.P.A: La Doctrine sociale de l Église c’est l’Évangile pour les citoyens et non pour les croyants. Mais il y a un seul Évangile; donc l’Évangile des croyants est celui des citoyens. La solidarité ce n’est pas partager les espérances seulement mais aussi les souffrances et les humiliations. Ce qui suppose un engagement libérateur. En fait avec le séisme nous avons été solidaires, mais nous ne nous sommes pas convertis à la solidarité comme tâche intemporelle et nécessairement urgente. Ce n’était pas une valeur sociale comme notre musique par exemple. Nous l’avons désertée sitôt l’urgence euphorique partie. Il nous faut apprendre à cesser les actions épisodiques ; l’avenir ne s’y blottit presque jamais. L’Église et sa doctrine sociale peuvent nous réapprendre que la solidarité n’est que le nom commun humain de la Caritas.

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